Le Prince Coquelicot: Présentation et extraits.

"Itinéraires d'un enfant autiste: Le Prince Coquelicot" ,extrait 2 : "La Rose et le Coquelicot"

 

X.        La rose et le coquelicot.

 

Car, dans toute histoire de petit prince qui se respecte, il est inconcevable qu’il ne soit pas question à un moment donné d’une rose.

Déesse des fleurs à aucune autre pareille, symbole de délicatesse et de rareté, vénérée, adulée, elle illumine massifs et plates-bandes de sa splendeur incomparable, conférant ainsi ses lettres de noblesse à la propriété qui l’héberge .

La mienne s’appelle Margaux et c’est ma grande sœur, en âge comme en taille.

C’est une rose magnifique toute en couleurs, parfum subtil… et épines…, la seule fleur de mon jardin qui ait droit à tous les égards.

M’inspirant directement de l’autre petit prince, celui que tout le monde connaît et adore parce qu’il est tellement zen et si sympathique, je l’ai mise sous cloche afin de ne pas la froisser et pouvoir en admirer chaque jour l’éclat et la beauté.

Car je le répète, je ne suis vraiment pas tendre avec les fleurs !

Ma sœur est mon modèle, celle à qui je voudrais tant ressembler même si c’est une fille…Antoine, c’est ″ garçon ″…même si je sais qu’hélas cela ne sera jamais possible, que l’insignifiant coquelicot ne parviendra jamais à se hisser au rang de la rose ni à rivaliser avec ses nombreuses qualités.

Pour elle, tout semble si simple et naturel alors que pour moi, tout est tordu et compliqué.

J’envie son aisance en société, la façon dont elle s‘empare d’une conversation avec ses mots que tout le monde comprend toujours du premier coup.

Et même si c’est souvent la guerre entre nous… fille et garçon, rose et coquelicot, chien et chat…mêmes querelles et même combat !…je demeure inexorablement dans son sillage, envahissant lorsqu’elle cherche à se retrancher derrière la porte de sa chambre et déboussolé sitôt qu’elle n’est plus là.

Face à elle, moi le frêle coquelicot, je parais bien terne.

Tandis qu’elle prend toujours la vie du bon côté, qu’elle paraît la traverser avec insouciance et légèreté, la plupart du temps en bonne compagnie, bouquet de rires dans un grand vase de bonne humeur, de sorties animées et de jeux improvisés, je plie sous le poids de mon autisme, tourmenté, figé et seul…tellement seul !

Pour moi, aucune spontanéité, jamais d’imprévu et pas le moindre copain avec qui partager ce fardeau.

Le coquelicot pousse en solitaire, perdu au milieu des vastes champs de blé sans que personne s’y intéresse vraiment.

D’ailleurs, tout le monde a un peu oublié à quoi ressemblait un coquelicot.

Les gens de la ville comme les gens des champs, ceux qui pourtant font pousser les céréales pour la farine des gâteaux et du pain ou l’herbe pour nourrir les vaches ne font plus grand cas de cette petite fleur sauvage. Pire, ils répandent des produits pour l’éliminer.

Mauvaise herbe, qualifiée d’herbe folle par certains, le coquelicot fait tache dans le paysage lisse des cultures bien organisées, une tache rouge-sang qui dénote et dérange. Finalement, autant s’en débarrasser !

Mauvaise graine, graine de tempête, graine de voyou, il n’y a pas grand chose à tirer de ce végétal capricieux.

Ni maintien, ni parfum, impossible à domestiquer ni à cueillir pour l’assembler en bouquet, il flétrit et fane instantanément, incapable de s’unir aux autres fleurs pour en partager la destinée.

Agaçant coquelicot !

Déposé dans un vase aussi joli et doré soit-il, ses pétales se détachent aussitôt de la tige pour finir en quelques minutes éparpillés sur la table.

La fleur se disloque et s’évanouit, préférant l’autodestruction à une quelconque forme de captivité : cultiver l’art de l’évanescence plutôt que sa propre inflorescence, dérouter, déstabiliser, se dissoudre totalement dans l’espace pour dépasser ainsi les clivages du monde, telle est sa devise.

Rien d’étonnant dans ces conditions que la préférence aille à la rose si sage et disciplinée plutôt qu’à cet affreux jojo de coquelicot !

Ils sont d’ailleurs peu nombreux ses supporters, ceux qui cherchent vraiment à connaître les raisons de ce comportement caractériel, à l’admettre et s’en accommoder. Je crois bien qu’il n’y a que les peintres pour aimer sa couleur unique et son allure à la fois aérienne et dégingandée.

Le coquelicot demeure incompris et désarmé face à l’adversité : ni venin, ni piquant et pas la moindre répartie de surcroît, rien d’autre que cette attitude déroutante pour décourager l’ennemi.

Agissant au nom de mes congénères assoiffés de vengeance, je fonds donc sur la moindre fleur qui se présente pour me narguer afin d’assouvir ma jalousie.

Je piétine les jonquilles qui se développent chaleureusement en colonies bien serrées le long des versants des montagnes, je trucide les iris qui se dressent hautainement sur mon chemin, je scalpe les gentianes qui me toisent de leur hauteur,  je broie dans mes mains les clochettes du muguet pour en absorber toute la senteur, n’accordant ma grâce qu’aux roses qui, toutes griffes dehors, savent de toute façon me garder à bonne distance.

Et que flotte à jamais sur la campagne dévastée, le fier étendard de la confrérie du coquelicot... !

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